« Les décisions en matières de sculpture partent du centre du moi créateur, d’une volonté individuelle, qui incite à choisir certains principes artistiques. L’œuvre sculpturale ne se soumet pas à un ordre préexistant, ni même latent, elle projette par son devenir un nouvel espace à partir de son noyau imaginatif »
Au commencement, il y eut les animaux. De grandes effigies dont la particularité n’était pas de figurer l’anecdotique animal mais de s’attacher à signifier la représentation de l’animalité dans l’imaginaire collectif. Puis vinrent les êtres hybrides, empruntés à une mythologie ancienne où l’animal devenait l’égal des dieux, bien qu’il ne fut jamais question de divinité. S’en vint ensuite la figure humaine. L’homme en premier lieu, traité pour lui-même, être naissant dont l’humanité se précise au fur et à mesure qu’elle est reproduite. Et comme un pendant, la femme fit ensuite irruption ; une femme qui vit, au contraire de l’homme, son corps, comme sa condition, devenir indépendant. Puis les hommes se regroupèrent, créant des liens entre eux, tentant de s’humaniser malgré des rapports brutaux laissant ressurgir leur instinct sauvage. Aujourd’hui, l’humanité de Cyrille André s’individualise à nouveau, s’entoure d’animaux, dialogue, échange avec eux, se nourrit de leur force et de leurs qualités. Ses figures, autrefois lasses, se redressent, fières de leur passé, de leur filiation et confiante en leur avenir, comme leur auteur.
Au commencement il y eut la peinture, brute, incisive, où la matière fut l’élément principal d’une toile qui devint vite une limite aux envies créatrices. Dominer la matière ne laisse qu’une issue déjà connue. En inversant le rapport classique aux matériaux, en passant outre la forme, l’artiste va alors au-delà de la matière pour mieux s’en imprégner. C’est dans son cœur qu’il trouvera la solution. Ce qu’a fait Cyrille André. En choisissant de se confronter au bois, il s’est laissé dépasser afin de mieux rentrer dans la matière. Une matière qu’il façonne en volume. Un volume qui le laisse jouer avec les vides. « Sculpter le bois c’est tailler dans la masse (pratique la taille), c’est à dire supprimer de la matière, créer des vides, et cela seulement ». Cyrille André évide et ouvre chaque figure formant la masse sculpturale, afin de trouver un équilibre entre le plein et le vide, suivant ainsi les principes d’Henri Moore. Mais l’équilibre est fragile, le vide mouvant et sans cesse remis en cause. D’ailleurs déjà la forme a repris le dessus, dominée par un jeu où la géométrie du quotidien s’approprie les fondations d’un corps en mouvement. On le sait, « c’est le surprenant, l’inattendu qui fait progresser. Un cheminement artistique n’est ni planifiable ni prévisible, mais il témoigne d’une certaine nécessité, d’une logique ». La logique du moi, la logique du bois. Cyrille André en aime le toucher, les veines qui apparaissent. Il aime la scansion qu’y crée la marque laissée par la tronçonneuse. Le bois qui lui permet de monter ses sculptures comme des pantins dénaturés, le pousse à des infidélités quand sa qualité devient défaut et que d’autres matériaux lui apporte plus facilement cette liberté qu’il recherche. Pourtant, le bois se fond toujours dans les envies de son manipulateur, entraînant dans une vertigineuse ascension créatrice un artiste schizophrène. N’en serait-il pas autrement de quelqu’un qui rend les corps sensuels dans leur massivité ? Qui impulse un mouvement à des corps immobiles ? Qui, en universalisant son langage, personnalise son message ? Chaque atermoiement fait alors progresser un artiste qui évolue à son rythme, plongeant de plus en plus profondément dans un moi en évolution permanente. Si l’artiste progresse, c’est parce que l’homme change. En se laissant gagner par son humanité, Cyrille André a franchi un cap. Ses questionnements ont gagné en justesse, la maturité de son œuvre ne saurait tarder.
Vincent Verlé
Après l’obtention d’une maîtrise en histoire de l’art à l’Université Nancy 2 en 1999, Vincent Verlé s’est ensuite orienté vers le journalisme et la critique avant de rejoindre en 2006 le Centre d’Art Bastille à Grenoble où il est aujourd’hui chargé des expositions et des publics.
Siegfried Gohr, « La sculpture contemporaine après 1970 », catalogue d’exposition, Fondation Daniel Templon – Musée temporaire, Fréjus, 1991, p26.
Dominique Dalemont, « 50 sculpteurs choisissent le bois », Somogy Editions d’art, Paris, 1998, p16.
Stefan Germer in La Mormaire/Richard Serra, Dirk Reinartz, Richter, Düsseldorf, 1997, p9.
Becoming
“Decisions about sculpture start from the centre of the creator “me,” an individual will, which encourages one to choose certain artistic principles. A work of sculpture does not submit to a preexisting order, nor even a latent one; through its becoming, it projects a new space, starting from its imaginative core.”1
In the beginning, there were animals. Large effigies, the key peculiarity of which was not to depict an anecdotal animal but rather to seek to signify a representation of animal-ness in the collective imagination. Then came hybrid beings, borrowed from an ancient mythology in which animals became the equals of the gods, even though it was never a question of divinity. Next came the human figure. Man above all, treated by himself, an emerging being, which humanity required over time in order to reproduce itself. And like a matching piece, woman then burst forth; woman who, unlike man, saw her body, as well as her condition, become independent. Men then consolidated into groups, creating ties between one another, seeking to humanize themselves despite the brutal relationships that allowed their savage instincts to resurge. Today, Cyrille André’s humanity has once again become individualised, surrounded by animals, by dialogue, by exchanges between them, nourished by their strength and their qualities. His figures, previously weary, have been revived, become proud of their past and their descent from it, and confident in their future, like their creator.
In the beginning there was painting, raw, incisive, in which thematerial was the principal element of a canvas that quickly becamerestrictive of creative desires. Conquering the material merelyleaves an outcome that is already known. By reversing the traditionalrelationship with materials, advancing outside form, the artist goesbeyond the material in order to better incorporate it. In his hearthe will find the solution. This is what Cyrille André has done. Bychoosing to confront wood, he has allowed himself to go beyond, inorder to better enter into the material, a material that he fashionsin volume. Volume allows him to play with empty space. “Sculptingwood means working on the bulk (the practicing of carving), i.e.,removing material, creating voids, nothing more.”2Cyrille André hollows and works each figure, shaping the sculpturalbulk, seeking a balance between mass and void, thus following theprinciples of Henri Moore. But equilibrium is fragile, emptiness isconstantly shifting and unceasingly called into question. Hence shapehas already gone to the fore, dominated by the play of the geometryof the everyday, which appropriates for itself the foundations of abody in movement. As one knows, “it is the surprising, theunexpected, that causes progress. An artistic path can neither beplanned nor anticipated, but witnesses to a certain need, a logic.”3The logic of the me, the logic of the wood. Cyrille André loves totouch it, the veins that appear. He loves the traces created there bythe marks left by the chainsaw. Wood allows him to display hissculptures like distorted puppets, he pushes it toward infidelitieswhen its quality becomes flawed and other materials more easilyafford him that freedom he seeks. Still, wood is always based on thedesires of its manipulator, leading a schizophrenic artist on into avertiginous creative ascension. Could it be anyone other than someonewho renders sensual bodies in their massive bulk? Who promotesmovement toward immobile bodies? Who, by universalising its language,personalises its message? Each instance of hesitation then causes theadvancement of an artist evolving at his own rate, immersing himselfmore and more deeply into a constantly evolving me. If the artistadvances, it is because the man changes. By allowing himself to winthrough his humanity, Cyrille André has crossed a threshold. In alljustice, his questioning has won; the maturity of his work will notbe delayed.
Vincent Verlé
After obtaining a Master’s in Art History at University of Nancy 2 in 1999, Vincent Verlé then moved into journalism and criticism before joining the Bastille Art Centre in Grenoble in 2006, where he is currently responsible for exhibits and public relations.
1 Siegfried Gohr, La sculpture contemporaine après 1970 [Contemporary Sculpture After 1970], exhibit catalogue, Fondation Daniel Templon – Temporary museum, Fréjus, 1991, p. 26.
2 Dominique Dalemont, 50 sculpteurs choisissent le bois [Fifty Sculptors Choosing Wood], Somogy Editions d’Art, Paris, 1998, p. 16.
3 Stefan Germer in La Mormaire/Richard Serra, Dirk Reinartz, Richter, Düsseldorf, 1997, p. 9.