Résidence d’été

Cyrille André s’est engagé depuis plusieurs années dans une pratique de la sculpture qui est quelque peu singulière dans la scène artistique française. S’il ne s’en tient pas qu’à ce matériau, il affirme une prédilection pour le bois et la taille directe ainsi qu’un parti prix figural qui n’a été revendiqué que par les artistes liés auNéo Expressionnisme. Je pense en particulier à Penck, Baselitz ou encore à un artiste comme Felix-Joseph Muller.
Mais si l’on peut y voir des accointances telles l’intensité dramatique des figures, leur monumentalité, il n’y a pas chez lui une logique totémique que l’on retrouve chez les sculpteurs allemands et suisses, même quand ils s’attaquent à des personnages « communs » comme Balkhenol.En France c’est plutôt à travers une problématique formaliste et déconstructive que ce matériau a été « travaillé » en particulier par certains artistes issus de support –surface comme Toni Grand. À quelques exceptions près qui restent souvent marginales, le choix de s’attaquer à la figure et de l’inscrire dans un contexte tiré de notre environnement est une entreprise risquée qui doit se confronter frontalement à la question de la représentation et éviter l’écueil de l’académisme. C’est ce pari qu’il réussit à travers ses sculptures.
Une des raisons tient en ce qu’elles évitent les écueils du réalisme. Ses « personnages » humains et animaux sont taillés à grands coups qui ne font pas dans le détail sans s’engluer dans le modelé naturaliste ; et en récusant tout psychologisme.S’ils évoquent des scènes, des atmosphères et des tensions, ses personnages n’illustrent pas. Je dirais plutôt qu’ils incarnent un sentiment du monde, une puissance et une présence.
Pas de trompe-l’œil, pas d’hyperréalisme, ici les masses sont (volontairement) grossièrement définies et ne correspondent pas aux normes et aux canons de la représentation académique. Elles sont portées par la puissance d’un geste, l’intensité d’une forme.
Cette densité et cette intensité sont renforcées par les jeux de la couleur.De même l’association au bois de matériaux qui produisent des contrastes, accusant certains éléments d’identification ou au contraire définissant plutôt un ensemble que des détails. Dans Solitude et meute  et bien d’autres sculptures, le brillant et le lisse du plomb dialoguent avec le mat et le brut du bois. Ils viennent accentuer les postures des personnages. On pourrait même dire que ce mélange de matériaux donne du corps à ses sculptures, il les innerve.C’est aussi parce qu’il ne singularise pas ses sculptures qu’elles relèvent de quelque chose d’universel qui aurait le nom d’Humanité ; dans ses zones d’ombre et de lumière. On retrouve à les regarder un univers où la violence des rapports marque les corps et où les êtres sont aussi les figures solitaires de la mélancolie. L’humanité de ces géants porte en elle la menace latente d’une inhumanité monumentale.
Car si les sculptures de Cyrille André sont monumentales, elles entretiennent avec nous une inquiétante proximité. Humaines trop humaines pour être les figures de héros, elles sont les effigies anonymes de nos vies et de nos proches. C’est par ces changements d’échelles que ses « géants » donnent forme à ce qu’on ne voit pas dans le cours des choses : un corps assoupi dans le repli de la vie, la méditation désenchantée d’un résigné, mais aussi la violence de nos cerbères modernes, la contiguïté extrême entre la nonchalance et la morgue.Notre monde quoi.Leur force , leur capacité à évoquer ou suggérer tient à ce qu’elles préservent une part d’anonyme, une sorte d’indétermination quant à leur identité. Elles sont comme les projections de nos peurs et de nos angoisses. Elles sont les personnages des blessures, des béances voire des gouffres qui hantent nos vies.
Regarde petit homme ce que la communauté déchirée de l’humanité peut faire surgir, regarde petit homme ce que tes peurs peuvent mettre en forme . Ils sont des butées contre lesquelles se heurte notre aveuglement ; ils nous arrêtent et nous obligent à lever les yeux : à prêter attention  et à réévaluer notre rapport au monde.

Philippe Cyroulnikdirecteur du 19, Centre d’art contemporain de Montbéliar

Summer residence

For several years, Cyrille André has been engaged in a practice of sculpture that is more than a bit unusual in the French artistic scene. Although he doesn’t focus only on this material, he has confirmed his predilection for wood and for direct carving as well as partial figurative depiction that has only been claimed by artists associated with Neo-Expressionism. I am thinking in particular of Penck, Baselitz or even an artist such as Felix-Joseph Muller.

However, even though there may be similarities, such as in the dramatic intensity of the figures and their monumentality, he does not have the totemic logic that one finds among the German and Swiss sculptors, even when they attack “common” personages, like Balkhenol.

In France, it is rather through a formalistic and deconstructive process that this material has been “worked,” particularly by certain artists enjoying surface support, such as Toni Grand. With some few exceptions that often remain marginal, the choice of attacking the figure and of setting it in a context drawn from our own environment is a risky enterprise which must confront head-on the question of representation and avoid the stumbling block of academism. This is the bet he has won through his sculptures.

One of the reasons lies in the fact that they avoid the pitfalls of realism. These human and animal “individuals” are carved in broad strokes that do not go into details without getting stuck in the naturalist model; and by rejecting all psychologism.

Although they evoke scenes, atmospheres and tensions, these individuals do not illustrate. I would say, rather, that they incarnate a sense of the world, a power and a presence.

No trompe-l’œil, no hyper-realism, here bodies are (willingly) broadly defined and do not correspond to the standards and canons of academic representation. They are carried by the power of a gesture, the intensity of a shape.

This density and intensity are strengthened by plays of colour. This is also true of the wood’s combination with materials that produce contrasts, highlighting certain elements of identification or rather, by contrast, defining a set of details. In Solitude et meute, as well as in other sculptures, the shine and smoothness of lead dialogue with the flat matte and rawness of the wood. They accentuate the postures of the individuals. One might even say that this mixture of materials gives body to his sculptures, that it innervates them.

It is also because he does not individualise his sculptures that they reveal something of the universal once possessed by the name of Humanity, in his regions of shadow and light. We find, upon looking at them, a universe in which the violence of relationships marks the body and where beings are also solitary figures of melancholy. The humanity of these giants bears within it the underlying threat of a monumental inhumanity.

Because although Cyrille André’s sculptures are monumental, they afford us a disquieting proximity. Human, too human to be heroic figures, they are the anonymous effigies of our lives and our loved ones. It is through these changes of scale that these “giants” give shape to what one does not see in the ordinary course of things: a sleeping body in the twists and turns of life, the disappointed meditation of someone resigned to their fate, and the violence of our modern Cerberus, the extreme level of contiguousness between nonchalance and the morgue.

Our world, indeed.

Their strength, their ability to evoke or suggest, contributes to their preserving a share of anonymity, a type of vagueness as to their identity. They are like projections of our fears and anxieties. They personify the wounds, gaps or even chasms that haunt our lives.

Look, small man, at what the shredded community of humanity can create, look, small man, at what your fears can give shape to. They are braces against which our blindness clashes; they stop us and force us to lift our eyes: to pay attention, and to reassess our relationship with the world.

Philippe Cyroulnik, Director of 19, Centre d’art contemporain [Contemporary Art Centre] of Montbéliard

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